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L'état du marché : une obligation qui incombe à la tête du réseau


Quand il y a un litige entre une tête de réseau et un adhérent qui se retrouve devant le tribunal, c'est très souvent lié au fait que l'adhérent n'arrive pas à atteindre ses objectifs de vente et de rentabilité, et la première réaction qu'il aura - directement ou par l'entremise de son avocat - sera d'évoquer un manque d'informations fiables qui ont biaisé son jugement initial et qui l'ont amené à partir sur un prévisionnel qui était totalement irréalisable, ce dont évidemment la tête de réseau ne pouvait ignorer. En français courant ça donne : "si j'avais su, jamais j'aurai signé".


Le plus triste dans ces affaires, c'est que bien souvent l'adhérent a raison. Il n'est probablement pas sans reproche : il n'a sûrement pas appliqué tout le concept conformément aux manuels opérationnels ; il a peut-être été un très mauvais commercial et un très mauvais manager. Et la tête de réseau peut parfaitement lui répondre qu'elle n'a pas à s'immiscer dans la gestion de ses adhérents, qu'elle a une obligation de moyen et non de résultat, qu'elle a un rôle d'animation et de conseil mais que l'adhérent reste avant tout un Entrepreneur avec tous les risques que cela entraîne. Aucun doute, la tête de réseau détient sûrement une part de vérité dans l'explication de l'échec de son adhérent et l'a probablement formalisé dans des rapports d'audit ou des visites inopinées.


Mais là n'est pas le débat. Ce que le juge du tribunal de commerce va s'efforcer de vérifier c'est de savoir si l'information communiquée à l'adhérent avant la signature du contrat était sincère, fiable et actualisée de manière à permettre à l'adhérent de se forger une conviction suffisante pour s'engager contractuellement. Si le Document d'Informations Précontractuelles (DIP) contient une multitude d'éléments sur l'historique de la marque, les éléments clés du concept, les entrées et sorties des membres du réseau, ce qui va nous intéressait nettement plus et permettre au futur adhérent de bâtir son prévisionnel d'activité, c'est entre autres l'Etat Général et l'Etat Local du Marché.



Que dit la loi ?


Il faut se reporter à l'article R.330-1 du Code de commerce pour y trouver ceci :


"Le document prévu au premier alinéa de l'article L.330-3 (NDLR : le DIP) contient (...) une présentation de l'état général et local du marché des produits ou services devant faire l'objet du contrat et des perspectives de développement de ce marché (...)"


Le moins qu'on puisse dire, c'est que le législateur est resté assez vague mais on comprend assez facilement l'objectif poursuivi : Permettre au futur adhérent d'un réseau de pouvoir analyser assez clairement le marché dans lequel il va évoluer, et ceci avec 2 niveaux d'analyse : le marché dans sa globalité, et plus spécifiquement dans la zone de chalandise du futur adhérent.



Et plus concrètement ça correspond à quoi ?


Si on s'en tient à ce que définit l'article R.330-1, il s'agit de :

  • lister les produits et services que l'on propose à la clientèle, ou que l'on envisage de proposer à court ou moyen terme

  • identifier les principaux acteurs de ce(s) marché(s)

  • de préciser pour chaque produit et service sa phase de vie (lancement, croissance, maturité, déclin) et de quantifier la volumétrie de cela représente aujourd'hui et de ce qu'on anticipe dans un avenir raisonnable (idéalement pour la durée du contrat d'adhésion)

Attention à ne pas être tenté d'en faire trop ! On voit très régulièrement des têtes de réseau se glorifiaient d'être très exhaustif avec un état du marché qui ressemble à la fois à un mix marketing - où l'on détaille les spécificités concurrentielles des produits, sa politique de prix, les canaux de distribution, les actions de communication menées - et à la fois une matrice SWOT - où l'on détaille ses forces/faiblesses/opportunités/menaces.


Autant ces éléments peuvent être intéressants d'être présentés dans une autre partie du DIP, autant dans l'Etat du Marché (général ou local) ça n'a pas sa place.



Quelques conseils aux têtes de réseau pour la rédaction des Etats du marché


1. Quand transmettre l'Etat du Marché ?

La tête de réseau doit transmettre un DIP complet au moins 20 jours avant la signature du contrat d'adhésion, et l'Etat Général et Local du Marché est une partie intégrante du DIP. Ça c'est la règle connue par tous les réseaux ... et pourtant elle est très mal appliquée. Pourquoi ? Parce qu'autant on peut transmettre assez rapidement au futur adhérent l'Etat Général du Marché - qui sera le même que l'adhérent soit à Paris, à Lyon ou à Marseille - autant pour l'Etat Local du Marché, il faut savoir où l'adhérent va s'implanter et quelle sera précisément la zone de chalandise qui lui sera concédée.


Dans un certain nombre de réseaux, l'emplacement final n'a que peu d'importance sur le potentiel de son marché et la présence des concurrents, autant c'est tout l'inverse dans bien d'autres réseaux. Aussi, il peut être pertinent et largement recommandé de transmettre l'Etat Local du Marché une fois que l'on a arrêté précisément avec le futur adhérent le lieu de sa future implantation. Et attention à bien respecter le délai de 20 jours à compter du moment où le futur adhérent a bien reçu tous les éléments.


2. Des données pertinentes, actualisées et sourcées


La tête de réseau ne doit jamais perdre de vue que l'état du marché qu'elle fournit à son futur adhérent peut très vite se retourner contre elle en cas de litige, donc les informations qu'il contient doivent être :

  • Pertinentes : se limiter à ce qui est réellement nécessaire et utile pour comprendre le marché

  • Actualisées : un état du marché se doit d'être un document contenant les informations les plus récentes possibles

  • Sourcées : aucune donnée ne doit être "sortie du chapeau". Il est impératif d'indiquer les bases de données, l'origine d'une information ou le cas échéant l'explication d'un raisonnement et des hypothèses retenues conduisant à transmettre une information


3. Un état du marché n'est pas une étude de marché


Il y a souvent une confusion entre l'état du marché et l'étude de marché. L'étude de marché est l'ensemble des travaux d'analyse qui vont être menées pour évaluer un potentiel d'activité. Pour faire simple : l'état du marché va expliquer quels produits et services sont proposés à différentes typologies de clientèle et quels sont les principaux acteurs de ce marché ; l'étude de marché va s'attacher à quantifier les pratiques commerciales menées par ces acteurs dans la zone de chalandise, le comportement spécifique des typologies de clientèle, la politique de tarification qu'il faudrait mener localement en fonction des parts de marché visés.


In fine, l'étude de marché va servir à alimenter le prévisionnel d'activité du futur adhérent qui leur permettra de confirmer son choix d'adhérer au réseau. Et qui doit faire cette étude de marché et ce prévisionnel : SURTOUT PAS LA TETE DE RESEAU ! C'est au futur adhérent, entant qu'entrepreneur indépendant, de réaliser cette tâche essentielle. Cela n'empêche nullement la tête de réseau de guider et de conseiller son futur adhérent, voire mieux encore de le mettre en relation avec un partenaire indépendant spécialisé en étude de marché.



Quels sont réellement les risques d'un défaut ou d'une insuffisance ?


Si on insiste tant sur cet Etat du Marché, c'est que les risques sont énormes et totalement sous-estimés pour la tête de réseau. Et de nombreux réseaux sont tombés (juridiquement parlant, il s'agit d'une liquidation) suite à un litige avec un seul de leurs adhérents portant sur un Etat du Marché non délivré, incomplet ou non actualisé.


Encore un peu de droit, cette fois-ci avec les articles 1130 et suivants du code civil portant sur les vices du consentement :

" L'erreur, le dol et la violence vicient le consentement lorsqu'ils sont de telle nature que, sans eux, l'une des parties n'aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes. Leur caractère déterminant s'apprécie eu égard aux personnes et aux circonstances dans lesquelles le consentement a été donné.

Les vices du consentement sont une cause de nullité relative du contrat."


Concrètement, si le juge du tribunal de commerce constate que l'absence, l'insuffisance ou les erreurs contenus dans l'Etat du marché (voire pire l'étude du marché ou le prévisionnel réalisé par la tête de réseau) est de nature à valider le vice du consentement (le fameux "si j'avais su je n'aurai pas signé"), il prononcera la nullité du contrat et condamnera la tête de réseau à réparer le préjudice total de l'adhérent qui a été trompé, et cela va bien au-delà du simple contrat. On peut notamment listé :

  • Le droit d'entrée et des prestations additionnelles versés à la signature du contrat

  • L'ensemble des redevances et des prestations versées à la tête de réseau durant toute la durée du contrat (redevance générale, redevance de publicité, abonnement informatique, supports marketing, missions spécifiques...)

  • La prise en charge des garanties personnelles que l'adhérent avait donné sur son prêt bancaire ou les locations de longue durée

  • La perte d'exploitation constatée sur les états comptables

  • Le remboursement des apports en capital et compte courant que l'adhérent a dû faire

  • Et si la tête de réseau avait en plus fourni l'étude de marché ou le prévisionnel d'activité, on peut ajouter la différence entre la rémunération que l'adhérent a pu se verser avec ce qui était prévu dans le prévisionnel initial validé par la tête de réseau


Bref, ça peut faire, très, très mal de négliger un Etat du Marché ou de vouloir trop en mettre. Alors maintenant, vous savez !


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